Méline : C’était il y a 15 ans… J’avais 23 ans. Il était musicien et moi, régisseuse… Six mois de travail nomade, six mois d’amour fou. On a fait l’amour à la belle étoile cette nuit-là et on n’avait pas de capote sous la main. Je croyais encore naïvement que ça ne craignait rien juste après les règles… Et puis de toute façon, il m’avait dit un jour : « si tu tombes enceinte, c’est pas grave, on le gardera… »…
Octobre est arrivé, je me suis sentie épuisée, rincée, exténuée, je n’en finissais pas d’avoir sommeil. C’est ma mère qui m’a mis la puce à l’oreille: « T’es sûre que t’es pas enceinte ? »…. Doute. Gros gros doute. Labo. Prise de sang. Attente. Résultat positif… Je suis enceinte…Cyclone interne…Je n’arrive pas à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle… Le lendemain soir, je filais le retrouver, à quelques heures de route de chez moi… Il posa la main sur mon ventre, l’air interrogateur, je hochais la tête pour lui signifier qu’il avait bien compris et il me lança simplement « On ne peut pas le garder !». Je n’ai plus de souvenir précis, ni du lendemain ou des jours qui ont suivi. Je me rappelle qu’il a évoqué nos âges, nos situations de précaires, cette place qu’il n’y avait pas pour un enfant dans sa vie. Je me rappelle aussi que de mon côté, j’oscillais. On a eu des échanges plus intenses par téléphone. Il m’a traité d’égoïste, il est même allé jusqu’à m’accuser de l’avoir piégé ! J’étais dans une telle colère, un tel sentiment d’injustice… J’étais anéantie. J’ai compris petit à petit que la vie à trois n’existerait pas, que si je poursuivais la grossesse, ce serait sans lui. Je réfléchissais au fait d’avoir un enfant toute seule mais ça ne me séduisait pas. Heureusement, j’avais mes parents. Ils m’ont simplement dit, avec tout l’amour du monde, « Quoi que tu décides ma chérie, on te soutiendra… »
Bref, lui et moi, on est allé au centre IVG, particulièrement antipathique. J’ai vu une conseillère devant laquelle j’ai pu m’effondrer. C’était trop dur de décider, je voulais juste que ce ne soit pas de mon ressort… Elle m’a simplement écouté, entouré de ses mots doux…
Et puis délai de réflexion (A l’époque un délai de réflexion de 7 jours de réflexion est obligatoire pour toutes les femmes. Ce délai de réflexion a été supprimé par la loi santé parue au Journal officiel du 27 janvier 2016) et tout le toutim… Je suis revenue seule pour chercher le médoc… Seule face à cette femme revêche, qui voyant mes larmes, lança comme un poing dans la gueule, « Ah moi, si vous n’êtes pas sûre de vous, j’vous donne pas le médicament hein !!! » Sombre conne. Si c’était si simple ! Alors oui ! Je pleurais sur lui, sur le nous de plus en plus hypothétique… Mon choix était fait, bien qu’il ne correspondait pas à ce que moi je voulais dans l’idéal !
Le jour de l’intervention est arrivé. Il m’a accompagné le matin de bonne heure à l’hôpital – sûrement pour s’assurer que j’aille bien au bout du processus. C’était parti ! Nue sous ma blouse, on m’a descendu au bloc, j’étais larmoyante et gelée, j’attendais l’anesthésie. Des gens s’agitaient autour de moi sans même me regarder… Quelle drôle d’expérience… fantomatique ! A mon réveil, seule dans ma chambre du centre d’ortho, j’avais une couche énorme entre les cuisses et un tensiomètre accroché au bras. Je me souviens du regard de ma mère quand elle est venue me visiter.
Quand tout ça s’est terminé, avant de quitter les lieux, « Madame-sombre-conne » m’a achevé… Elle voulait suivre son putain de protocole… Et son putain de protocole disait que je ne ressortirais pas de son putain de service sans une putain d’ordonnance pour un contraceptif… Parce qu’il était hors de question de me revoir me pointer dans quatre matins pour une nouvelle IVG !
C’est à partir de ce moment-là que c’est devenu le plus dur… Je n’avais pas souffert, ni pendant, ni après l’IVG, ça aurait pu être simple, j’aurais pu tourner la page et avancer. Mais là, il m’avait laissée. J’étais seule avec mon ventre vide, vide de lui et de son amour, plus que d’une hypothétique progéniture. Au huitième jour, il a daigné répondre… « Allo … » On est resté silencieux, ne sachant quoi se dire, par où commencer… J’ai simplement lancé, sans animosité « t’as rencontré quelqu’un ? ». Il a lâché un « oui », étouffé… Bref, j’ai survécu ! Après 6 mois de dépression, 10 kilos en moins et d’innombrables nuits blanches, j’ai trouvé ce qui me sauverait la vie : j’ai pris mon sac à dos et je suis partie en stop, loin, avec deux amis, pour une période indéterminée… C’était le plus beau voyage de ma vie ! Il a duré 3 ans… Si j’avais poursuivi cette grossesse, je n’aurais jamais connu ça…